5 avr. 2016

Des mots #1 - School-Bullying

"School Bullying" est l'équivalent anglophone de "harcèlement scolaire". Souvent raccourci au seul mot "Bullying", qui vient de "Bull", le taureau ou jeune taureau.
Plus largement, "Bull" signifie aussi "jeune mâle", et est associé à la fougue, la brutalité, voire la bêtise. 

On parle ainsi d'un "bully" pour une personne (unE élève) qui harcèle - toujours présenté sous les traits d'un jeune garçon costaud, brutal et borné, pour ne pas dire abruti. Ce stéréotype est une figure usuelle en bande dessinée, j'en parlerai peut-être dans un futur billet. En réalité, les personnes qui harcèlent et agressent sont souvent très éloignées de ce cliché. 

Si le "bullying" peut aussi être étendu au sens plus large de harcèlement, et peut donc s'appliquer à des contextes variés (on parlera de Cyberbullying, Sexual Bullying, Workplace Bullying, Trans Bullying, etc), on le trouve d'abord et essentiellement lié à l'école et au contexte scolaire. D'ailleurs, l'expression a été employée pour la première fois en 1897 à propos de l'éducation, dans un article de pédagogie [1].
Concernant le harcèlement au travail et le harcèlement sexuel, dont on suppose qu'ils concernent uniquement les adultes, on utilisera plus volontiers le terme harassment.

Deux rapides recherches dans Google Image donnent des résultats éloquents :

 Bullying :
 Harassment :





Pourtant les définitions de ces deux mots sont très similaires, comme on peut le constater sur Wikipédia :
  • Bullying signifie "the use of force, threat, or coercion to abuse, intimidate, or aggressively dominate others. The behavior is often repeated and habitual".
  • Harassment "covers a wide range of behaviours of an offensive nature. It is commonly understood as behaviour which disturbs or upsets, and it is characteristically repetitive. In the legal sense, it is behaviour which appears to be disturbing or threatening".
Dans les deux cas il s'agit d'un comportement répétitif consistant à malmener quelqu'un par l'intimidation, la menace, l'usage de la force et de la contrainte.   
    Alors pourquoi ne pas utiliser le même mot pour tous les contextes ?

    Parce qu'ils n'ont, en réalité, pas tout à fait le même sens, ni surtout la même portée symbolique.      


    Minimiser :

    "Pour jouer". Autrement dit, le harcèlement entre enfants ou ados, ce n'est jamais aussi grave qu'entre adultes. Rien de bien méchant, tous les jeunes animaux se chamaillent et se bousculent, et c'est là un comportement naturel.
    Les auteurs ne se questionnent pas sur la contradiction qui peut exister entre "coups violents" et "pour jouer". La violence peut être un simple jeu. On y reviendra, mais c'est une idée extrêmement répandue dans notre culture, et bien ancrée dans nos têtes.
    L'expression "bullying" vise à minimiser le phénomène non seulement en le distinguant, mais aussi en exprimant l'idée qu'il ne s'agit pas réellement de violence, encore moins d'actes répréhensibles ou de délits - comme c'est le cas pour le harcèlement moral et le harcèlement sexuel, qui sont punis par la loi.
    Jusque récemment, le harcèlement scolaire ne faisait pas l'objet de sanctions pénales. Ce n'est que depuis 2014 que le Code Pénal sanctionne tout fait de harcèlement, quel que soit le contexte (travail, école, couple...).
    Utiliser le terme "bullying", c'est donc distinguer les violences scolaires d'autres situations de harcèlement, comme s'il s'agissait de phénomènes très différents. Cela peut contribuer à invisibiliser le droit de porter plainte pour des faits de harcèlement à l'école, par exemple.



    Naturaliser :

    Utiliser un terme qui renvoie à l'éthologie (l'étude du comportement des animaux) laisse supposer que le comportement dont il est question serait inné, naturel, et non culturel. Le harcèlement entre élèves ne serait pas la conséquence d'une construction sociale, d'un système et d'un contexte particulier, mais une manifestation inévitable de la nature des enfants... par définition "cruels", on le sait bien. 
    Les "solutions" proposées et la manière d'aborder le sujet ne seront évidemment pas les mêmes si l'on considère le phénomène comme une fatalité, en l'occurrence comme une étape incontournable du développement, par exemple. C'est bien triste que les renards bouffent les poules et que la puberté donne des boutons, mais enfin, c'est la NATURE, que voulez-vous.


    Dépolitiser :




    On parle de cyberbullying, notamment, pour désigner le harcèlement sur Internet et les réseaux sociaux.
    Cet usage vient en partie du fait que les Etats-Unis, le Canada et le Royaume-Uni ont un temps d'avance sur la visibilisation et la répression de ce phénomène (ce qui ne signifie pas que les solutions appliquées soient adaptées et justes, mais c'est une autre question).
    Mais aussi parce que l'usage d'un anglicisme comme "bullying" permet de masquer la réalité des violences scolaires. Pour la plupart d'entre nous, qui ne sommes pas bilingues et encore moins de langue maternelle anglophone, "bullying" ne veut rien dire. C'est un terme vide, qui n'évoque rien, qui n'est pas connoté. Tout comme "burn out", par exemple. C'est plus joli que dépression, souffrance/maltraitance au travail, épuisement professionnel...

    On a là un exemple de "langue de bois", comme on l'observe en politique et en management, dont l'objectif est de neutraliser ce qu'elle qualifie, tout en donnant l'impression de décrire un phénomène avec précision et "expertise".

    Dans un de ses spectacles, Florence Foresti s'amuse de cet usage à propos de l'expression "baby-blues".


    C'est la même chose avec "Bullying" : c'est presque sympa, on se dit que bon, au pire, c'est peut-être juste un peu ennuyeux, comme jouer au ... bowling, par exemple.

    "Bullying", c'est plus propre que "harcèlement scolaire", qui l'est lui-même plus que "harcèlement moral", "harcèlement sexuel", "agressions"/"violences" (psychologiques, verbales, physiques, sexuelles), "viol", "vol", "maltraitance", "torture", "manipulation" ... etc.
    C'est plus propre que racisme, sexisme, classisme, lesbo-homophobie, transphobie, validisme, etc.
    Autant de termes pourtant adaptés au contexte scolaire, comme à celui du travail.





    [1] Frederic Lister Burk (1862-1924), "Teasing and Bullying", in Pedagogical Seminary, vol.4, 1897. Cité par Jean-Pierre Bellon et Bertrand Gardette, Harcèlement et brimades entre élèves. La face cachée de la violence scolaire, éditions Fabert, 2011.



    4 commentaires:

    1. il n'y a pas que les coups qui sont minimisé chez les enfants : les insultes et rascisme encore plus... l'enfant n'est pas poursuivable pénalement en cas d'insulte rasciste (et je n'ai pas connaissance de poursuite des parents au civil)... du coup il n'y a en pratique aucune sanction à l'école primaire et ou sur la voie publique. le collége ou le lycée, puniront éventuellement, mais il est déjà trop tard à ce stade.

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      1. Merci pour ce commentaire ! En effet la violence n'est pas uniquement physique, mais aussi verbale, morale, sexuelle. Et elle s'appuie sur des discriminations comme le racisme entre autres. Pour ma part je ne défend pas une solution pénale ni même de sanction, qui me semblent contre-productives. Mais je suis d'accord que lorsqu'on arrive au collège et plus encore au lycée, c'est bien tard pour résoudre le problème...

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    2. Bonjour,
      Votre commentaire est intéressant mais il me semble incomplet et un peu approximatif. Tout d'abord les deux définitions ne sont pas équivalentes (bully peut être repetitif mais pas forcement, alors que le harassement l'est). Ensuite même si l’étymologie et l'histoire montre qu'au départ le bullying est l'apanage des enfants, ce n'est vraiment plus le cas maintenant. Les deux termes ont vraiment un sens différents concernant les adultes, et pour travailler dans un environnement anglo saxon et longtemps aux USA je peux vous garantir qu'on reconnait la différence.

      Enfin, et ça me parait fondamental, le "bullying" se fait quasiment toujours pour un public. Le "bully" anglosaxon agit face a un groupe d'admirateurs, il harcèle une victime (pas toujours la même) pour épater la galerie, pour se valoriser a leurs yeux. C'est souvent associe a un état d'esprit permanent, a un caractère, sans cible forcement précise. En fait, c'est un gros con, pourrait on dire en France.

      Le bully c'est une personne qui va retourner le couteau dans la plaie, ou essayer de rabaisser un compétiteur pour s'attribuer ses mérites, ou commettre des petites mesquineries pour essayer de se valoriser.

      Après évidemment vu la tendance de certains France a utiliser des mots anglais sans en connaitre le sens ou l'origine (voir l'utilisation du mot "bobo", neologisme forge pour dénoncer la culture war), faut pas s’étonner qu'on utilise ces termes n'importe comment.

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      1. Merci beaucoup pour ces précisions intéressantes. En effet il y aurait certainement bien d'autres choses à dire sur ce terme et ses usages. Il me semble tout de même que ce terme est largement utilisé à propos de l'école, et c'est le principal problème que je voulais pointer. D'ailleurs la violence scolaire ne se limite pas à cette situation d'un harcèlement-spectacle. Je ne crois pas que l'usage de mots anglais soit anecdotique ni "une tendance de certains". ça a du sens, et une utilité (politique). Et le mot "bobo" en est effectivement un excellent exemple...

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