16 déc. 2016

Tour d'horizon - décembre 2016


Voici une petite "revue de presse", qui aura mis un peu de temps à voir le jour : je vous propose une brève sélection d'articles, émissions, actus, au sujet des violences scolaires, de l'école en général, de l'éducation, des relations enfants-adultes...Aucune prétention à l'exhaustivité, ni à l'objectivité, bien entendu ! Ce sont simplement des lectures qui m'ont intéressée ou interpellée, ou qui nourrissent mes recherches.






Il semble que l'on parle un peu plus des personnes qui harcèlent/agressent/violentent, quand jusqu'ici les projecteurs étaient généralement braqués sur les seules victimes : une émission sur France culture donne la parole, entre autres, à un ancien élève auteur de harcèlement : "Harceleurs et harcelés : trois récits de violence à l'école", "Les pieds sur terre", France Culture, 21 novembre 2016. 
On y entend aussi une enseignante agressée par un élève,  et un animateur confronté au racisme des adultes et des enfants. Dommage qu'il n'y ait pas également de témoignage d'élèves victimes de la violence adulte (ça reste décidément un angle mort), ce qui aurait donné un panorama un peu moins réducteur de l'expression de la violence à l'école.






Libération publie depuis 2015, à l'occasion de la journée contre le harcèlement scolaire (mise en place en 2015, elle a lieu le 5 novembre),  un long article documenté (et illustré) sur les violences scolaires. Celui de cette année s'intéresse aux témoignages d'anciens élèves auteur-e-s de violences : ""Je ne me rendais pas compte que je lui faisais du mal". A l'école, ils ont harcelés leurs camarades", Libération, 5 novembre 2016.  L'article évacue malheureusement toute responsabilité de la part de l'institution et de ses acteurs adultes : les causes du harcèlement sont vues comme exclusivement externes à l'école... et la violence parentale, si elle est évoquée, n'est même pas nommée comme telle. Vous trouverez sur la même page les liens vers d'autres articles au sujet du harcèlement scolaire publiés par Libé, et en particulier le journal d'Emilie, qui s'est suicidée en décembre 2015, et qui décrit avec une redoutable précision le quotidien d'une élève harcelée (et qui laisse à réfléchir sur le terme récurrent de 'micro'-violences).  





Greg Allaeys, comédien et intervenant dans des collèges, a publié une lettre ouverte à l'animateur, faisant le lien entre ses propos et attitudes humiliantes, qui vont jusqu'aux agressions sexuelles, et les violences qui ont lieu dans les établissements scolaires. Il l'alerte à juste titre sur sa responsabilité en tant que personnage public, et en tant qu'adulte, et interpelle sur l'influence de ce genre d'émission. Il rappelle la gravité du phénomène, qui pousse des élèves au suicide.
Cette continuité de la violence est bien trop rarement soulignée : la harcèlement scolaire n'est pas un phénomène isolé, ni spécifique, et encore moins une caractéristique "adolescente"...





Pour finir, un article un peu plus ancien sur le respect des enfants en crèche et une réflexion sur la collectivité imposée aux très jeunes enfants : un interview avec un éducateur de jeunes enfants, "A la crèche, un tout-petit doit pouvoir faire sa vie". 



Si vous avez lu/vu/entendu d'autres choses sur le sujet, n'hésitez pas à les partager dans les commentaires.


Bonnes lectures, et bonnes vacances ! 





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5 déc. 2016

Retour au collège (3)















[1] "Le gestionnaire matériel assiste le chef d'établissement pour tout ce qui relève de la gestion administrative, matérielle et financière : entretien des locaux, sécurité, organisation de l'accueil, de la restauration, de l'hébergement, etc. Il dirige l'ensemble des personnels administratifs, ouvriers et de services. Il peut aussi être l'agent comptable de l'établissement." (source education.gouv.fr) Tous les établissements ne disposent pas d'un-e agent-e comptable : un-e agent-e comptable a souvent en charge plusieurs autres établissements, qui eux ne disposent alors que d'un-e gestionnaire. 





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19 oct. 2016

La salle des profs


 




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4 oct. 2016

Un café ? - Soutenir le blog

Désormais, vous pouvez si vous le souhaitez, soutenir ce blog - ainsi que son cousin Tout va mieux - en faisant un don sur Tipeee.


Tipeee est une plateforme de financement participatif qui permet de soutenir des créatrices et créateurs sur le web (videastes, journalistes, dessinatrices-eurs, etc). 

Le principe est simple : vous pouvez donner à la hauteur de vos possibilités et de vos envies, à partir de 1 euro, une seule fois ou régulièrement.
Je reprends à Deimian l'analogie du café : si vous appréciez ce que je fais, vous pouvez me donner un petit coup de pouce en m'offrant l'équivalent d'un café par mois. 


Il n'y a ni obligation ni engagement : vous êtes libres de donner ou non, le montant que vous souhaitez, régulièrement ou ponctuellement, et de cesser de donner quand vous voulez.

Quoi qu'il arrive, qu'il y ait ou non des dons et quel que soit leur montant, le contenu du blog restera libre et gratuit pour tout le monde. 

Pourquoi ai-je recours à Tipeee ? 

Jusqu'ici, je vivais en partie d'allocations chômage qui m'ont permis de ne pas travailler à plein temps sur d'autres projets et de consacrer du temps à ces blogs, qui ne représentent aucune source de revenus mais demandent un temps considérable, ainsi que du matériel de dessin. J'y consacre plusieurs jours par mois : lectures, veille sur Internet, recherches, écriture des scénarios, dessin, mise en forme sur photoshop... Chaque billet représente de nombreuses heures de travail. Si je veux continuer à publier régulièrement, je dois trouver d'autres moyens de les financer. Je ne reçois plus d'allocations et ne gagne pas encore suffisamment en tant qu'illustratrice pour en vivre.

Tipeee représente donc pour moi un soutien possible pour continuer à faire vivre ce blog de façon satisfaisante, en proposant un contenu régulier. Ce n'est pas l'unique solution que j'envisage, et je compte bien faire mon possible pour continuer à le mettre à jour quoi qu'il arrive. Mais plus j'aurai de temps à y consacrer, et mieux ce sera !


C'est aussi un moyen d'éviter d'avoir recours à la publicité, de rester indépendante et de proposer un contenu que j'ai choisi de placer dans le domaine public, qui est donc librement ré-utilisable et modifiable par chacunE (voir l'article à ce sujet sur le blog Tout va mieux). 

C'est particulièrement important pour moi concernant ce sujet du harcèlement scolaire : mettre à disposition ce contenu signifie que des élèves, étudiantEs, enseignantEs ou toute autre personne participant à l'institution scolaire peut se le réapproprier, le diffuser et peut-être, même à une toute petite échelle, faire changer les choses.

Ce blog centré sur la question du harcèlement et de la violence scolaire est un projet qui me tient à coeur et que je mûris depuis plusieurs années. J'avais au départ pour objectif d'en faire une publication, ce que je ne perds pas de vue : votre soutien pourrait aussi m'aider, à terme, à éditer le contenu du blog lorsqu'il sera suffisamment conséquent. 

Vous trouverez sur le site de Tipeee toutes les explications sur le fonctionnement (c'est ultra-simple) et les réponses à des questions que vous pouvez vous posez, comme par exemple Pourquoi payer pour un contenu que je peux avoir gratuitement ?

J'aurai l'occasion de parler plus longuement, sur le blog Tout va mieux, du principe du financement participatif qui pose plein de questions intéressantes (et qui a aussi ses limites et ses abus, selon les contextes).

Quoi qu'il en soit, vous êtes libre de ne pas adhérer à ce principe tout en continuant à lire mes BD et mes articles et à les diffuser ! Il y a bien d'autres façons de m'aider, ainsi que vous le faites déjà : en postant des commentaires, en m'écrivant des mails, en me suggérant des lectures, des conseils, en me partageant vos connaissances, en publiant mes billets sur d'autres sites, en les réutilisant dans différents contextes... Pour tout cela, je vous remercie à nouveau chaleureusement ! 

Je suis extrêmement touchée par les messages que je reçois de personnes qui ont subi des violences à l'école, au collège ou au lycée, ou par les parents dont les enfants sont concernéEs par ce problème. Et cela me conforte dans la nécessité de poursuivre ce travail.

Si donc vous pouvez et souhaitez me soutenir par des "tips", ou encore en parler autour de vous, je vous en serai infiniment reconnaissante !

Merci d'avoir pris le temps de lire ce billet, et à très bientôt pour un nouvel article !

                                                                                                 Julie

1 sept. 2016

"Harcèlement à l'école, que faire ?"

" A partir d'un certain moment, Grégoire n'a plus qu'une seule idée en tête :
fuir le plus loin possible de façon à mettre entre ses bourreaux et lui
la distance la plus extrême."
(Harcèlement et brimades entre élèves, Jean-Pierre Bellon et Bertrand Gardette)
 
Que faire quand on est victime de violences scolaires ? Que faire quand on est parent d'unE enfant victime de violences scolaires ?

Sur les sites officiels, et dans les ouvrages de spécialistes, la réponse est simple et unanime : il faut "en parler".

En parler à ses parents. Aux adultes.
En parler à l'institution scolaire. Aux surveillantEs. Aux CPE. Aux professeurEs. Au chef d'établissement.

C'est l'établissement scolaire, dans lequel les violences se produisent, qui est considéré comme seul habilité à résoudre le problème. ça ne doit pas en sortir.

Encore faut-il avoir suffisamment confiance envers les adultes pour se confier à eux. Encore faut-il qu'ils et elles soient capables de répondre adéquatement et de "résoudre effectivement" le problème. Aujourd'hui, malgré les campagnes de prévention sur le harcèlement scolaire, c'est encore loin d'être le cas. Et les solutions proposées sont rarement adaptées, voire carrément problématiques (comme la médiation par les pairs, par exemple. Mais j'y reviendrai).

Nombreuses sont les situations où les interventions des parents et les sanctions à l'école, ne font que renforcer et aggraver le harcèlement.

Il n'est quasiment jamais indiqué aux élèves et aux parents qu'ils peuvent porter plainte, contre les élèves agresseurs, et contre l'établissement scolaire. Bien que ce droit existe.
Pour autant, je ne crois pas personnellement qu'un recours pénal soit une solution saine, encore moins s'il s'agit de traîner en justice et de faire condamner des adolescentEs (à partir de 13 ans, l'agresseurE risque une peine de prison).

Mais il existe pourtant d'autres choses à faire, des choses simples, de bon sens, qui devraient être évidentes face à une situation de violence. 

Que se passe-t-il lorsqu'unE adulte est victime de harcèlement moral et/ou sexuel sur son lieu de travail ?
Très souvent (en fait, dans la majorité des cas), il ou elle va voir un médecin qui lui prescrit un arrêt de travail plus ou moins long. Ces arrêts maladie, comme les prescriptions médicamenteuses et tout ce qui a trait à l'état de santé de la victime pourront être utilisés comme des moyens de prouver le harcèlement dans le cas d'une procédure.

Au-delà de la question juridique, c'est la santé physique et mentale de la personne victime de violences qui est en jeu : un arrêt maladie ne résout pas le harcèlement, mais il permet, pour une période plus ou moins longue, de souffler, de reprendre des forces, éloignéE et protégéE des agressions répétées. Parfois cela aboutit à une démission, une rupture conventionnelle de contrat ou un licenciement. Le harcèlement a des conséquences graves sur la santé. Des conséquences qui peuvent aller jusqu'au suicide, il n'est jamais inutile de le rappeler. 

Supporter une situation de harcèlement, d'injures, d'exclusion, d'humiliations, de violences physiques au quotidien demande une énergie psychique et physique considérable.

Si un adulte ne peut le supporter sans dommages (parfois très sérieux), qu'en est-il d'unE enfant ou d'unE ado

L'arrêt maladie, unique ou répété, est hélas bien souvent le seul recours face à une situation de harcèlement au travail.

Et pourtant, il n'est jamais conseillé aux élèves et aux parents de fuir l'école lorsqu'elle devient lieu de maltraitances et de destruction. Nous vivons dans une société éminemment scolaire : l'école n'est plus un droit, mais un devoir, une nécessité absolue, et une obligation inaliénable.
La possibilité qu'unE élève victime de violences puisse quitter l'école pour une période plus ou moins longue (voire définitivement), ne semble même pas se poser. Au mieux, on parlera de "phobie scolaire", pathologisant une réaction de refus qui est certainement beaucoup plus saine que le silence et la soumission. Et lorsque les psy prennent en charge cette phobie, c'est en général avec pour objectif ultime le "retour à l'école" [1].
Le "décrochage scolaire" et la déscolarisation sont considérées comme des "conséquences graves" du harcèlement.

Bien des parents n'envisageront même pas le retrait de l'école, tissés jusque dans leurs cellules de la certitude que la scolarisation est indispensable à leur enfant. Ne plus y aller, même simplement quelques semaines ou quelques mois, signifierait prendre du retard, perdre le rythme, se déshabituer du travail et de l'effort, n'obtenir aucun diplôme, ruiner son avenir et finir sous un pont. Il faut donc y aller, quoi qu'il arrive

Mais qu'apprend-t-on en situation de harcèlement ? Quel avenir se construit-on ? Les enfants et adolescentEs harceléEs à l'école s'insèrent moins bien dans la vie professionnelle et ont plus de problèmesfinanciers.

Une autre crainte est celle de la "désocialisation". Question vite réglée : de quelle "socialisation" bénéficie unE élève harceléE à l'école ou au collège ? Quelles séquelles ce harcèlement, surtout s'il est prolongé, laissera-t-il sur ses capacités relationnelles ?

Dans le trailer du film "The Bully Project", on voit un jeune garçon continuer d'aller au collège où il subit de graves violences. Bien que la situation soit connue de l'institution, aucune solution n'est apportée. Et ses parents, désemparés, ne semblent pas avoir seulement l'idée de retirer leur fils de cet enfer. Ils souffrent pourtant eux aussi de cette situation, et ne manquent pas d'empathie pour leur enfant.

L'école n'est pourtant pas obligatoire. On l'oublie trop souvent. 

Il y a bien d'autres manières d'apprendre qu'entre les murs de l'école de la République [2].

Et quand elle devient un lieu dangereux, il peut être raisonnable de la fuir. Pour une semaine, un mois, un an. Ou pour toujours. Pour aller ailleurs, dans une autre école, dans un autre système, ou pour rester chez soi. Pour faire une pause, se reconstituer, retrouver ses forces, soigner ses blessures. Et se donner les moyens d'une vie vraiment réussie, d'une réelle socialisation, de relations épanouies. 

Fuir, ce n'est pas nécessairement un échec. C'est parfois un élan vital.

Bonne rentrée !


[1] voir à ce sujet par exemple les travaux de Nicole Catheline, Les années-collège, Le grand malentendu. On trouvera aussi pléthore d'articles et de recherches sur Internet.
[2] par correspondance, dans une école alternative, mais aussi en-dehors de toute scolarisation. Le récent film "Alphabet" de Erwin Wagenhofer en montre un bel aperçu.

30 juin 2016

'Retour au collège', de Riad Sattouf


Difficile de passer à côté de Retour au collège de Riad Sattouf  en constituant une petite bibliographie sur le thème des violences scolaires. D'autant qu'il n'y a pas énormément de bandes dessinées sur ce sujet. L'album a plus de 10 ans, mais il reste totalement d'actualité. De mon point de vue, il est aussi intéressant que problématique, en particulier en ce qui concerne le positionnement de l'auteur. 
 
© Hachette Littératures 2005

Riad Sattouf y raconte son immersion dans une classe de 3ème d'un collège parisien afin d'y faire un reportage. L'argument de départ est simple : restant traumatisé par sa scolarité dans un "collège de prolos", il se demande si c'est différent "chez les rupins", et décide d'aller vérifier par lui-même. 


La violence des "gosses de riches"

Grâce à son éditeur et le soutien du Ministère, Riad Sattouf parvient à se faire accepter dans "l'un des meilleurs collèges de France", ainsi qu'il le décrit sur son site
"J'avais fait il y a quelques années un livre appelé 'Le Manuel du puceau'. L'album avait bien marché, beaucoup de gens avaient aimé. Mais une partie des lecteurs avait trouvé que j'avais exagéré, en donnant une image trop cruelle, impitoyable et agressive de l'adolescent. Comme c'était une création, une fiction, j'ai voulu retourner dans un vrai collège pour voir de mes yeux si je m'étais trompé. J'ai choisi un collège bourgeois : puisque les gens qui m'avaient fait des procès étaient des catholiques des classes bourgeoises, j'ai décidé d'aller voir comment étaient leurs enfants."

Verdict : il ne s'était pas trompé. Racisme, sexisme, homophobie et lesbophobie, classisme, obsession des marques, exclusion, violence verbale et physique, racket, phénomène de bouc émissaire... tout y est. Il est précisé au début du livre que "les situations et les propos rapportés sont absolument véridiques".

La critique de l'album par Lionel Labosse sur son site 'Altersexualité' analyse bien le racisme anti-noirs et anti-arabes des élèves décrits par Sattouf, ainsi que l'homophobie omniprésente. J'ajouterais le harcèlement sexiste et sexuel envers les filles, également omniprésent, pour ne pas dire obsessionnel.

Le livre a donc le mérite de dévoiler, sans concessions, le comportement des "gosses de riches". La violence scolaire y est montrée, de façon sous-entendue, comme un phénomène concernant toutes les classes sociales. Les relations entre les ados de ce collège huppé sont fort semblables à celles qu'on peut observer dans un collège de banlieue, et il y a fort à parier que Riad Sattouf en serait sorti tout aussi traumatisé.
Il fait d'ailleurs, à plusieurs reprises, un parallèle avec ses propres souvenirs de collégien, montrant bien la similitude entre deux catégories sociales et deux générations. A croire que les relations scolaires seraient immuables, détachées de toute contingence ou modification extérieure, comme si l'école fonctionnait en vase clos, avec ses lois propres. Comme si, également, l'adolescence était un âge spécifique, naturellement violent et difficile, indépendamment du milieu social et de l'époque.

La violence des profs et des adultes

Le rôle des professeurs et des adultes en général est très intéressant mais absolument pas relevé dans les critiques que j'ai pu lire. Pourtant, dès le début, Riad Sattouf montre que son traumatisme du collège vient de l'autorité exercée par l'institution et par les adultes. La question du harcèlement scolaire, de l'exclusion par les autres élèves, n'apparaît en tant que telle que beaucoup plus tard dans le récit - et jamais de façon très claire.
L'album débute par un cauchemar de Sattouf, dans lequel il est de nouveau collégien, subissant un fameux "contrôle surprise" et humilié publiquement par le professeur. Un peu plus loin, il relate ses angoisses à la veille de retourner au collège : il est tout autant effrayé à l'idée que les élèves l'excluent et se moquent de lui, qu'à la perspective d'être ridiculisé par un enseignant.

© Hachette Littératures 2005
Il fait ensuite un portrait savoureux du principal du collège dans lequel il doit réaliser son reportage, montrant une forte hiérarchie, et des relations de pouvoir rigides entre les membres de la direction.

© Hachette Littératures 2005

Tout au long de son récit, Riad Sattouf se montre effrayé et soumis face aux adultes (professeurs, concierge, membres du personnel) - alors qu'il est lui-même adulte. Même la secrétaire "de deux ans plus jeune que [lui]" s'adresse à lui avec autorité. A la fin du livre, il est viré sans ménagement par M. Hermann, le prof redouté, qui revient d'un congé maladie et lui impose sans discussion de "foutre le camp". Ce qui clôt le récit.

Il n'y aucune interaction entre les adultes et les adolescentEs, exceptés dans le cadre de la classe et donc de l'apprentissage, de l'évaluation et de la discipline. Riad Sattouf lui-même échange peu avec les profs ; il ne les épargne pas plus que les élèves dans ses descriptions : suffisantEs, autoritaires, souvent ridicules, ennuyeusEs, ou totalement dépasséEs et malmenéEs par les collégienNEs...

Les décisions sont prises exclusivement par la direction et imposées à tout le monde : les élèves ne sont absolument pas consultéEs à propos du projet de Riad Sattouf, qui pourtant les concerne en premier lieu. Elles et ils le voient débarquer dans leur classe sans en avoir été informéEs. Les professeurEs ne l'ont pas été non plus, manifestement, puisqu'elles-ils manifestent leur surprise à chaque rencontre avec le dessinateur. 

© Hachette Littératures 2005

Dénoncer ou cautionner le harcèlement ?

Il est clair que Riad Sattouf dénonce les scènes de violences qu'il relate : celles exercée envers Romain, le "bouc émissaire" de la classe, celles auxquelles il assiste dans la cour ou les couloirs (racket, tabassage...). Tout comme les propos racistes et homophobes, ou encore la domination sociale exercée par ces adolescentEs et en particulier les plus riches.

Malgré tout, j'ai ressenti un malaise croissant à la lecture de cet album.
Je ne suis pas la seule, si j'en crois la critique de Stellou sur le site Madmoizelle.com :
"Du pur jus de collège, donc. Sauf qu’il a un goût plutôt amer. Voire acide. Est-ce que c’est le fait de revoir en face cette période où rien n’est vraiment à sa place ni à la bonne taille, ou est-ce que ce sont les spécimens dits "huppés" décrits dans le roman qui font un peu peur ? Toujours est-il qu’en refermant la BD, on a comme l’impression d’avoir passé quelques temps dans un épisode de la quatrième dimension. Ou traversé le Village des Damnés. Ce collège-là fait peur, tu sais. Très peur. Même que la dernière page arrivée, on est rassuré d’en être sorti depuis longtemps avec … Et de ne pas avoir fait partie de ce collège-là."
Personnellement, j'ai fait partie de ce collège-là (pas de celui-là en particulier, mais un dans le même genre, même si beaucoup moins privilégié). Rien ne m'a surprise dans les scènes, les propos et les attitudes décrites. Je pourrais même dire que ça peut être bien pire. Ça l'est peut-être d'ailleurs dans ce collège-là, mais Riad Sattouf relate ce qu'il a vu, et c'est logique. Il y a fort à parier que les élèves adaptent leurs comportements en sa présence. Et son point de vue est probablement d'autant plus partiel que l'auteur tisse des liens essentiellement (voire exclusivement) avec les élèves les plus populaires et les plus dominateurs [1].

On en arrive à ce qui me semble le plus problématique dans cet album, à savoir l'attitude de Riad Sattouf lui-même : en tant qu'auteur, en tant que reporter, en tant qu'adulte.
Difficile de savoir quelle posture il adopte, entre l'observation quasi anthropologique, l'absence d'intervention, le souhait de créer des relations avec les élèves et d'interagir avec eux... Il passe d'une attitude à une autre, au gré des circonstances. Ce qui ne serait pas nécessairement gênant s'il n'était pas amené à assister, voire à participer (même passivement), à des situations de violences, de discriminations et d'humiliations. Et c'est là que le malaise arrive. Et pas qu'un peu.

Riad Sattouf est manifestement inconfortable avec le problème du harcèlement, et on peut le comprendre, d'autant qu'il semble en avoir été victime lui-même. Il l'évoque, allant jusqu'à confier à des filles de la classe qu'il était "comme Romain", et même "pire que lui", mais n'en parle pas explicitement. Conscient du phénomène, c'est lui qui aborde le sujet avec les élèves, demandant "qui est l'exclu de la classe ?" - ce qui laisse supposer qu'il y en a obligatoirement unE. Et il y en a donc un, en effet, Romain. Que l'on insulte, humilie et gifle devant lui. Si Riad Sattouf désapprouve manifestement, il n'intervient pas et ne dit rien. Pire, il se montre écœuré par Romain, présenté comme stupide et dégageant une haleine des moins agréables.

© Hachette Littératures 2005

Ce qui est probablement vrai (du moins pour l'haleine...), mais le problème est que le dessin évoque clairement une hiérarchie dans la désapprobation : l'aspect de Romain semble horrifier plus fortement Riad Sattouf que la violence à laquelle il assiste. Il ne semble pas non plus s'interroger sur le comportement de Romain : est-il harcelé et violenté parce qu'il a des difficultés relationnelles, ou a-t-il des difficultés relationnelles parce qu'il est violenté ?




Le terrain est glissant : si Sattouf ne justifie pas, évidemment, la violence dont Romain est l'objet, la construction de son récit, et ses propres réactions de dégoût, peuvent laisser penser que le harcèlement "s'explique". Voire, que les élèves harceléEs le sont parce que faibles, moches, stupides et inadaptéEs. Ce qu'il sous-entend, de façon humoristique et avec auto-dérision, en qualifiant certains garçons de "plus faibles génétiquement" (parmi lesquels il s’inclue). On en revient toujours au harcèlement comme une fatalité quasi-naturelle, le monde des ados fonctionnant sur le principe de la loi de la jungle ou loi du plus fort (quand la société adulte et "civilisée" fonctionnerait de façon égalitaire...).

Dans la dernière partie du livre, une autre scène avec Romain m'a littéralement sidérée : un des élèves "populaires" l'étrangle et l'insulte (alors qu'il se défend de façon pourtant légitime), devant les filles amusées, et devant Riad Sattouf, silencieux. C'est pourtant lui qui a initié la conversation.

© Hachette Littératures 2005

S'intégrer à tout prix

C'est que Romain a quelques bonnes raisons de ne pas adresser la parole à Riad Sattouf. 
Non seulement il a été agressé physiquement et verbalement à plusieurs reprises devant lui, sans qu'il ne réagisse. Mais de plus, Riad Sattouf ne remet absolument pas en question la hiérarchie de la classe. Il semble même plutôt fier d'être accepté parmi les élèves les plus populaires, qui sont aussi les harceleurs et agresseurs de Romain.

© Hachette Littératures 2005
On pourrait se dire que cette apparente neutralité est voulue par Riad Sattouf : il pourrait en effet avoir choisi de ne pas intervenir, ou le moins possible, de garder une posture d'observateur et de retranscrire ce à quoi il assiste.

Mais le premier problème, c'est qu'il n'est pas neutre. Une fois de plus, comme on l'a déjà vu, il se montre dégoûté par Romain, qu'il ridiculise et rend repoussant. Il ne prend pas la peine d'appeler par leurs prénoms certainEs élèves, parmi les plus effacéEs, et en particulier un groupe de filles qu'il nomme "fille molle 1" et "fille molle 2", et auxquelles "personne ne parle". On apprendra par la suite qu'elles sont exclues en raison de leur religion (musulmane) et de leur appartenance à un milieu social un peu moins privilégié.

Le second problème, c'est qu'il intervient dans les interactions entre les élèves. Mais uniquement dans certains cas, et de façon assez étonnante. Par exemple, lorsqu'il est question de racisme anti-arabes, un racisme qui le concerne directement. Il n'hésite pas alors à donner son point de vue et à remettre en questions les propos racistes et les comportements discriminants des collégienNEs.

© Hachettes Littératures 2005
Il pose des questions, initie des discussions.
Il va également faire la morale à un petit groupe de filles concernant Romain, en leur suggérant d'être plus sympas avec lui. Alors que lui-même répugne à lui serrer la main...

© Hachette Littératures 2005

Une ambiguïté vis à vis du sexisme et du harcèlement sexuel

Un autre aspect à mes yeux problématique du livre est la question du comportement des garçons envers les filles, et la façon dont ces dernières sont assignées à la sexualité.
Le sexe et les premiers émois amoureux occupent une place importante, voire parfois centrale, dans les propos des collégienNEs du livre, mais aussi dans les souvenirs de Riad Sattouf de son adolescence. Le poncif de l'adolescence comme période de bouleversement hormonal, de découverte du désir et de la sexualité, est à ce point rabâché qu'on a parfois l'impression qu'il n'y aurait rien d'autre à dire concernant ce moment de la vie. De fait, certains lecteurs de Retour au collège en font presque le sujet du livre, et en parlent de façon positive.

En effet, quand Riad Sattouf raconte ses souvenirs, son amour secret et à sens unique pour Sylvie, c'est plutôt mignon.

© Hachette Littératures 2005
Sauf que cela alterne avec ce qu'il observe dans cette classe de 3ème, et c'est carrément moins mignon :

© Hachette Littératures 2005

Les filles sont régulièrement l'objet d'attouchements, de harcèlement, de remarques et réflexions sur leur sexualité (réelle ou supposée), de propos lesbophobes, de manipulation.

© Hachette Littératures 2005

Encore une fois, si Riad Sattouf se contentait de décrire ce qu'il observe, on ne pourrait guère le lui reprocher. Mais il se montre troublé par le corps des adolescentes et les présente comme suggestives et dragueuses.

© Hachette Littératures 2005
Lorsqu'un petit groupe de filles vient lui parler à la sortie du collège, et lui confie, mal à l'aise, le harcèlement dont elles font l'objet, il élude la question, et met cela sur le même plan qu'une simple drague, en leur demandant qui sont les garçons qui leur plaisent, puis si elles sortent et couchent avec eux - autant de questions qu'il ne pose pas aux garçons.
Il est fier d'être un objet de fantasme pour certaines filles de la classe, qui vont même tomber amoureuses de lui.
Il ne s'agit pas de dire qu'un adulte ne peut pas être attiré par une fille (ou un garçon) beaucoup plus jeune, ni qu'à l'inverse unE collégienNE ne devrait pas manifester son désir pour quelqu'unE de plus âgéE. Il n'est pas question de morale, mais de sexisme.
La fierté que ressent Riad Sattouf à séduire malgré lui les collégiennes est censée amuser. Or elle met mal à l'aise, étant donné ce contexte de violence quasi permanente, cette hyper-sexualisation et soumission des filles, la pression à "coucher", les relations particulièrement stéréotypées et révélatrices de la domination masculine (certaines filles confient avoir déjà "fait la pipe", mais pas couché ; on doute fort que la réciproque soit vraie), et l'absence d'égalité entre garçons et filles, ainsi qu'entre adultes et adolescentEs.


Conclusion :

Pour Riad Sattouf, retourner au collège était probablement au moins autant une thérapie personnelle qu'un projet de reportage. Le livre semble avoir pour objectif de lui permettre d'exorciser son adolescence et la violence qu'il a lui-même subit.
Mais sans vraiment remettre en question ce qu'il observe dans cette classe, il saisit l'occasion de prendre sa revanche : il était l'élève moche, exclu, malmené, ridiculisé. Dix ans plus tard, il est plébiscité, on se bouscule pour lui serrer la main, les filles tombent toutes amoureuses de lui. C'est censé être drôle, c'est souvent gênant.
Moralité : ça ira mieux demain (c'est à dire une fois adulte et vacciné). En attendant, on continue d'en baver. Ou pire : on a beau "retourner au collège", on n'en sort pas facilement.  



[1] A la fin du livre, Riad Sattouf raconte avoir proposé aux élèves de lui écrire une lettre où ils pouvaient raconter ce qu'ils voulaient. Il retranscrit l'unique lettre qu'il a reçue. Elle est anonyme mais on reconnaît sans aucun doute Thomas, que l'on pourrait qualifier de "mâle dominant" de la classe : très populaire, très présent dans le récit, agresseur de Romain, malmenant également les filles, et les (jeunes) professeurEs. Il raconte entre autres choses être "ami ami" avec le proviseur. Un petit détail.