" A partir d'un certain moment, Grégoire n'a plus qu'une seule idée en tête :fuir le plus loin possible de façon à mettre entre ses bourreaux et luila distance la plus extrême."(Harcèlement et brimades entre élèves, Jean-Pierre Bellon et Bertrand Gardette)
Que faire quand on est victime de violences scolaires ? Que faire quand on est parent d'unE enfant victime de violences scolaires ?
Sur les sites officiels, et dans les ouvrages de spécialistes, la réponse est simple et unanime : il faut "en parler".
En parler à ses parents. Aux adultes.
En parler à l'institution scolaire. Aux surveillantEs. Aux
CPE. Aux professeurEs. Au chef d'établissement.
C'est l'établissement scolaire, dans lequel les violences se
produisent, qui est considéré comme seul habilité à résoudre le problème. ça ne doit pas en sortir.
Encore faut-il avoir suffisamment confiance envers les
adultes pour se confier à eux. Encore faut-il qu'ils et elles soient capables
de répondre adéquatement et de "résoudre effectivement" le problème.
Aujourd'hui, malgré les campagnes de prévention sur le harcèlement scolaire,
c'est encore loin d'être le cas. Et les solutions proposées sont rarement
adaptées, voire carrément problématiques (comme la médiation par les pairs, par
exemple. Mais j'y reviendrai).
Nombreuses sont les situations où les interventions des
parents et les sanctions à l'école, ne font que renforcer et aggraver le
harcèlement.
Il n'est quasiment jamais indiqué aux élèves et aux parents
qu'ils peuvent porter plainte, contre les élèves agresseurs, et contre
l'établissement scolaire. Bien que ce droit existe.
Pour autant, je ne crois pas personnellement qu'un recours
pénal soit une solution saine, encore moins s'il s'agit de traîner en justice
et de faire condamner des adolescentEs (à partir de 13 ans, l'agresseurE risque
une peine de prison).
Mais il existe pourtant d'autres choses à faire, des choses
simples, de bon sens, qui devraient être évidentes face à une situation de
violence.
Que se passe-t-il lorsqu'unE adulte est victime de
harcèlement moral et/ou sexuel sur son lieu de travail ?
Très souvent (en fait, dans la majorité des cas), il ou elle va voir un médecin qui lui prescrit
un arrêt de travail plus ou moins long. Ces arrêts maladie, comme les
prescriptions médicamenteuses et tout ce qui a trait à l'état de santé de la
victime pourront être utilisés comme des moyens de prouver le harcèlement dans
le cas d'une procédure.
Au-delà de la question juridique, c'est la santé physique et
mentale de la personne victime de violences qui est en jeu : un arrêt maladie
ne résout pas le harcèlement, mais il permet, pour une période plus ou moins
longue, de souffler, de reprendre des forces, éloignéE et protégéE des
agressions répétées. Parfois cela aboutit à une démission, une rupture
conventionnelle de contrat ou un licenciement. Le harcèlement a des
conséquences graves sur la santé. Des conséquences qui peuvent aller jusqu'au
suicide, il n'est jamais inutile de le rappeler.
Supporter une situation de harcèlement, d'injures,
d'exclusion, d'humiliations, de violences physiques au quotidien demande une
énergie psychique et physique considérable.
Si un adulte ne peut le supporter sans dommages (parfois
très sérieux), qu'en est-il d'unE enfant ou d'unE ado ?
L'arrêt maladie, unique ou répété, est hélas bien souvent le
seul recours face à une situation de harcèlement au travail.
Et pourtant, il n'est jamais conseillé aux élèves et aux
parents de fuir l'école lorsqu'elle devient lieu de maltraitances et de
destruction. Nous vivons dans une société éminemment scolaire : l'école n'est
plus un droit, mais un devoir, une nécessité absolue, et une obligation
inaliénable.
La possibilité qu'unE élève victime de violences puisse
quitter l'école pour une période plus ou moins longue (voire définitivement),
ne semble même pas se poser. Au mieux, on parlera de "phobie
scolaire", pathologisant une réaction de refus qui est certainement
beaucoup plus saine que le silence et la soumission. Et lorsque les psy
prennent en charge cette phobie, c'est en général avec pour objectif ultime le
"retour à l'école" [1].
Le "décrochage scolaire" et la déscolarisation sont
considérées comme des "conséquences graves" du harcèlement.
Bien des parents n'envisageront même pas le retrait de
l'école, tissés jusque dans leurs cellules de la certitude que la scolarisation
est indispensable à leur enfant. Ne plus y aller, même simplement quelques
semaines ou quelques mois, signifierait prendre du retard, perdre le rythme, se
déshabituer du travail et de l'effort, n'obtenir aucun diplôme, ruiner son
avenir et finir sous un pont. Il faut donc y aller, quoi qu'il arrive.
Mais qu'apprend-t-on en situation de harcèlement ? Quel
avenir se construit-on ? Les enfants et adolescentEs harceléEs à l'école
s'insèrent moins bien dans la vie professionnelle et ont plus de problèmesfinanciers.
Une autre crainte est celle de la
"désocialisation". Question vite réglée : de quelle
"socialisation" bénéficie unE élève harceléE à l'école ou au collège
? Quelles séquelles ce harcèlement, surtout s'il est prolongé, laissera-t-il
sur ses capacités relationnelles ?
Dans le trailer du film "The Bully Project", on
voit un jeune garçon continuer d'aller au collège où il subit de graves
violences. Bien que la situation soit connue de l'institution, aucune solution
n'est apportée. Et ses parents, désemparés, ne semblent pas avoir seulement l'idée de retirer leur fils de cet
enfer. Ils souffrent pourtant eux aussi de cette situation, et ne manquent pas
d'empathie pour leur enfant.
L'école n'est pourtant pas obligatoire. On l'oublie trop
souvent.
Il y a bien d'autres manières d'apprendre qu'entre les murs de l'école de la
République [2].
Et quand elle devient un lieu dangereux, il peut être
raisonnable de la fuir. Pour une semaine, un mois, un an. Ou pour toujours.
Pour aller ailleurs, dans une autre école, dans un autre système, ou pour
rester chez soi. Pour faire une pause, se reconstituer, retrouver ses forces,
soigner ses blessures. Et se donner les moyens d'une vie vraiment réussie,
d'une réelle socialisation, de relations épanouies.
Fuir, ce n'est pas nécessairement un échec. C'est parfois un
élan vital.
Bonne rentrée !
[1]
voir à ce sujet par exemple les travaux de Nicole Catheline, Les années-collège, Le grand malentendu. On trouvera aussi pléthore d'articles et de recherches sur Internet. ↩