Le harcèlement en ligne, essentiellement sur les réseaux sociaux, ou cyberharcèlement, est un phénomène qui amplifie et aggrave le harcèlement scolaire. De là à faire d'Internet une cause, sinon la cause, des violences entre adolescentEs, il n'y a qu'un pas, que certainEs franchissent allègrement.
En témoigne cet entretien avec le principal d'un collège au sujet du cyberharcèlement, paru la semaine dernière sur le site Rue89.
En témoigne cet entretien avec le principal d'un collège au sujet du cyberharcèlement, paru la semaine dernière sur le site Rue89.
Le titre donne le ton et le fond :
"90% des problèmes de disciplines sont liés aux réseaux sociaux".
D'emblée, l'amalgame est repris par la journaliste, entre harcèlement et "problèmes de disciplines". Discipline étant ici compris au sens d'obéissance et soumission - à un règlement imposé, mais plus généralement à un comportement prescrit, c'est à dire à un pouvoir disciplinaire.
La violence ne sera donc pas envisagée comme un problème humain dont il serait intéressant et utile de rechercher les causes afin de l'éviter, mais comme une nuisance (pour qui ?) qu'il faut sanctionner.
Constantin Kontaxakis, le principal en question, a une vision bien à lui du harcèlement scolaire - bien à lui, mais bien partagée. Il le distingue en deux formes :
"Il y a une première forme que l’on peut rapidement régler : des élèves utilisent entre eux des insultes, cela va en faire souffrir un et à partir de là, soit il l’exprime et on va intervenir directement, soit il ne l’exprime pas, s’isole, et il va falloir détecter les signes de cet isolement."
(...)
"Après il y a une forme un peu plus violente de harcèlement, qui est rare. (...) De la méchanceté volontaire, du racket, on met la pression à un jeune parce qu’on ne l’aime pas, etc. Là c’est plus compliqué car on est dans une démarche psychologique forte de la part du harceleur et la plus grande difficulté pour nous réside dans le fait d’avoir l’information."
Outre qu'on ne saisit pas bien la différence entre ces deux types de situations, la première laisse entendre qu'unE élève puisse être insultéE et excluE "sans raison". On n'est pas loin du harcèlement "pour jouer", inconscient, qui ne chercherait pas à faire du mal. Les élèves utiliseraient des insultes comme d'autres utilisent le verlan, comme un langage à eux, sans qu'il y ait nécessairement de lien avec la violence. On retrouve là une vision de l'enfant et de l'ado "sauvage", mal dégrossiE, non encore civiliséE.
" Ils se comprennent entre eux, utilisent un langage qui leur est propre", affirme plus loin M. Kontaxakis, qui reconnaît n'être "parfois pas à même de tout comprendre" lorsqu'il "[lit] leurs messages". Mais qui, par ailleurs, semble très sûr de lui lorsqu'il s'agit d'interpréter telle ou telle situation ainsi que les intentions derrière chaque propos. Ainsi, un "demain, je vais te tuer" proféré en ligne par une élève ne représente pas pour lui une réelle menace, mais s'inscrit dans une simple "altercation", "rien de grave".
On notera au passage que le principal lit les messages des élèves et ne s'en justifie pas. [1]
Cette distinction entre deux types de harcèlement, l'un "pas grave", et l'autre "réel" ou "sérieux" - mais "rare", évidemment - est une manière de minimiser voire nier la violence, de la naturaliser, et d'en rejeter la responsabilité sur les élèves.
M. Kontaxakis ne semble pas imaginer une seconde que la violence entre élèves, dans sa majorité, lui échappe, lui est probablement soigneusement dissimulée, à lui tout autant qu'aux autres adultes de l'établissement.
M. Kontaxakis ne semble pas imaginer une seconde que la violence entre élèves, dans sa majorité, lui échappe, lui est probablement soigneusement dissimulée, à lui tout autant qu'aux autres adultes de l'établissement.
Il
semble persuadé que la surveillance, l'intervention desdits adultes, et la sanction,
suffisent à résoudre une situation de harcèlement, et à protéger l'élève
qui en est victime. Il encourage les élèves à "parler" - aux adultes.
"Venir en parler", "se confier à un adulte" : principal conseil, sinon
le seul, adressé aux élèves victimes et témoins de harcèlement (comme on peut le constater sur le site du ministère de l'Education Nationale). Encore
faudrait-il ne pas minimiser les risques que cela fait prendre aux
élèves concernéEs :
"A cet âge-là, ils ont la sensation que dire quelque chose c’est être une balance, et qu’ils seront ensuite dénigrés et rejetés par les autres..."Or il ne s'agit pas d'une "sensation", mais d'un risque réel. L'intervention des adultes et la sanction aggravent souvent la situation. Le harcèlement sera alors encore mieux dissimulé, et la victime n'osera plus en parler - quand l'adulte pensera, satisfait, que le problème est résolu.
Plus grave, M. Kontaxakis ne distingue pas conflit et harcèlement. Or, l'un et l'autre relèvent de logiques tout à fait différentes. Non seulement il ridiculise ainsi les problèmes relationnels que peuvent rencontrer les collégiens - "des choses d'ados, rien d'essentiel" -, mais il entretient la confusion fâcheuse entre désaccord et violence. Une confusion entretenue dans d'autres contextes, comme la violence conjugale, par exemple, et contre laquelle les féministes luttent depuis longtemps [2]. Distinguer le conflit, qui peut être constructif et s'exercer sur un terrain égalitaire, de la violence et du harcèlement, toujours destructeurs et qui supposent une asymétrie de pouvoir et une domination, est un enjeu important au sujet des souffrances au travail et à l'école.
Le principal du collège évoque par ailleurs un âge d'or scolaire où, semble-t-il, le harcèlement n'existait pas, où les problèmes se réglaient sainement par une "bonne vieille altercation".
Qu'est-ce qui a donc bien pu dénaturer à ce point une école aussi "idyllique" ??
Je vous le donne en mille : Internet, bien sûr.
Voici qu'il faut, encore et toujours, devant la diabolisation du Web - et avant elle, de la télévision, de la radio, de la littérature - rappeler que Facebook, Snapchat et Twitter sont des outils et des espaces. Outils qui peuvent être utilisées à des fins violentes, comme à des fins constructives ; espaces où peut s'exprimer la haine, comme l'amitié [3].
Simple discours rétrograde ? Pas sûr. Cette diabolisation perpétuelle et incessante des medias a une fonction essentielle : masquer les origines réelles de la violence.
Ici, tout le propos vise à dédouaner l'école, en tant qu'institution, de sa (part de) responsabilité dans les situations de violence entre élèves.
Au contraire, l'école est présentée comme victime d'une violence venue du dehors, qui ne la concerne pas mais l'éclabousse.
Voici qu'il faut, encore et toujours, devant la diabolisation du Web - et avant elle, de la télévision, de la radio, de la littérature - rappeler que Facebook, Snapchat et Twitter sont des outils et des espaces. Outils qui peuvent être utilisées à des fins violentes, comme à des fins constructives ; espaces où peut s'exprimer la haine, comme l'amitié [3].
Simple discours rétrograde ? Pas sûr. Cette diabolisation perpétuelle et incessante des medias a une fonction essentielle : masquer les origines réelles de la violence.
Ici, tout le propos vise à dédouaner l'école, en tant qu'institution, de sa (part de) responsabilité dans les situations de violence entre élèves.
Au contraire, l'école est présentée comme victime d'une violence venue du dehors, qui ne la concerne pas mais l'éclabousse.
"(...) l’établissement scolaire devient un terrain de mise en œuvre des conséquences du harcèlement."
"Malheureusement, exister sur les réseaux sociaux est une chose extrêmement importante pour les élèves aujourd’hui et ils n’ont aucune maîtrise de ce qu’ils font ou ce qu’ils disent. C’est la source de bien des difficultés et des formes de harcèlement."
Ainsi, M. Kontaxakis estime pertinent d' "accentuer [ses] efforts" sur les réseaux sociaux. Et les seules solutions qu'il envisage et qu'il utilise sont la sanction, la répression, l'interdiction. PuniEs d'ordinateur, privéEs de smartphones, les collégienNEs redeviendront de sages petitEs écolierEs. Et si ça ne marche pas, il reste le procès et l'exclusion.
Au passage, il rejette la responsabilité sur les parents, en charge d'éduquer aux usages des réseaux sociaux, de faire respecter les limites d'âge prescrites (Facebook n'est autorisé qu'à partir de 13 ans, mais l'on n'est pas moins susceptible d'être victime ou auteurE de harcèlement passé cet âge), d'interdire.
Au passage, il rejette la responsabilité sur les parents, en charge d'éduquer aux usages des réseaux sociaux, de faire respecter les limites d'âge prescrites (Facebook n'est autorisé qu'à partir de 13 ans, mais l'on n'est pas moins susceptible d'être victime ou auteurE de harcèlement passé cet âge), d'interdire.
"La responsabilité appartient quand même aux parents."Ainsi, il se dédouane sans scrupules de la sienne lorsque des parents viennent lui rapporter des faits de harcèlement en ligne :
"Oui mais attendez, vous venez vous plaindre le lundi matin pour que je fasse quelque chose par rapport à quelque chose qui s’est passé à l’extérieur de l’établissement, sous votre responsabilité ?"Il faut tout de même une bonne dose de mauvaise foi pour affirmer que ce qui se passe le soir et le week-end sur les réseaux sociaux ne concerne pas l'école. Essentiellement parce que les collégienNEs ne se sont pas, que je sache, rencontréEs sur Tinder ou SnapChat mais bien...au collège. C'est l'école qui les réunit, ou plus précisément, leur impose d'être en relations les unEs avec les autres, pour le meilleur, et trop souvent, pour le pire. Relations imposées, apprentissages imposés, activités imposées, comportements imposés, dans un cadre rigide où elles et ils sont mis en compétition les unEs avec les autres, et soumisEs à l'autorité et au jugement des adultes et de l'institution. Un contexte on ne peut plus fertile à la violence.
La gravité du harcèlement en ligne tient à ce qu'il permet à cette violence de déborder le cadre scolaire, d'envahir la sphère privée, et non le contraire. Il rend le harcèlement absolument permanent, l'accélère, l'étend à des personnes hors de l'établissement, diminue l'empathie et l'auto-contrôle par la mise à distance de la relation virtuelle. En ne laissant aucun répit à l'élève harceléE, le cyberharcèlement pousse certainEs au suicide. Et cela permet, aspect non négligeable, de le rendre plus invisible encore aux yeux des enseignantEs et des équipes éducatives : en apparence, au collège, tout se passe bien. Mais en coulisses, c'est le lynchage.
"J’ai fait en sorte que dans l’établissement les élèves n’aient pas accès à Facebook ou à Twitter. On a défini avec les plateformes informatiques du rectorat un certain nombre de sites qui sont bloqués. C’est important que je puisse dire aux parents « ce n’est pas chez moi »."
Interdire les téléphones et fliquer l'usage d'Internet, c'est non seulement parfaitement inutile, mais cela mobilise une énergie qui serait mieux employée à chercher à comprendre les causes réelles de la violence, les besoins des collégienNEs, la colère et la souffance de celles et ceux qui harcèlent comme de celles et ceux qui sont harceléEs.
En suivant la logique de M. Kontaxakis, il serait peut-être plus pertinent, pour lutter efficacement contre le harcèlement au collège, de supprimer le collège.
En attendant, on peut lire cette lettre ouverte des personnels du collège République à Bobigny, qui se montrent solidaires des élèves et voient dans la violence de certainEs d'entre elles et eux l'expression d'une colère légitime.
En suivant la logique de M. Kontaxakis, il serait peut-être plus pertinent, pour lutter efficacement contre le harcèlement au collège, de supprimer le collège.
En attendant, on peut lire cette lettre ouverte des personnels du collège République à Bobigny, qui se montrent solidaires des élèves et voient dans la violence de certainEs d'entre elles et eux l'expression d'une colère légitime.
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