1 sept. 2016

"Harcèlement à l'école, que faire ?"

" A partir d'un certain moment, Grégoire n'a plus qu'une seule idée en tête :
fuir le plus loin possible de façon à mettre entre ses bourreaux et lui
la distance la plus extrême."
(Harcèlement et brimades entre élèves, Jean-Pierre Bellon et Bertrand Gardette)
 
Que faire quand on est victime de violences scolaires ? Que faire quand on est parent d'unE enfant victime de violences scolaires ?

Sur les sites officiels, et dans les ouvrages de spécialistes, la réponse est simple et unanime : il faut "en parler".

En parler à ses parents. Aux adultes.
En parler à l'institution scolaire. Aux surveillantEs. Aux CPE. Aux professeurEs. Au chef d'établissement.

C'est l'établissement scolaire, dans lequel les violences se produisent, qui est considéré comme seul habilité à résoudre le problème. ça ne doit pas en sortir.

Encore faut-il avoir suffisamment confiance envers les adultes pour se confier à eux. Encore faut-il qu'ils et elles soient capables de répondre adéquatement et de "résoudre effectivement" le problème. Aujourd'hui, malgré les campagnes de prévention sur le harcèlement scolaire, c'est encore loin d'être le cas. Et les solutions proposées sont rarement adaptées, voire carrément problématiques (comme la médiation par les pairs, par exemple. Mais j'y reviendrai).

Nombreuses sont les situations où les interventions des parents et les sanctions à l'école, ne font que renforcer et aggraver le harcèlement.

Il n'est quasiment jamais indiqué aux élèves et aux parents qu'ils peuvent porter plainte, contre les élèves agresseurs, et contre l'établissement scolaire. Bien que ce droit existe.
Pour autant, je ne crois pas personnellement qu'un recours pénal soit une solution saine, encore moins s'il s'agit de traîner en justice et de faire condamner des adolescentEs (à partir de 13 ans, l'agresseurE risque une peine de prison).

Mais il existe pourtant d'autres choses à faire, des choses simples, de bon sens, qui devraient être évidentes face à une situation de violence. 

Que se passe-t-il lorsqu'unE adulte est victime de harcèlement moral et/ou sexuel sur son lieu de travail ?
Très souvent (en fait, dans la majorité des cas), il ou elle va voir un médecin qui lui prescrit un arrêt de travail plus ou moins long. Ces arrêts maladie, comme les prescriptions médicamenteuses et tout ce qui a trait à l'état de santé de la victime pourront être utilisés comme des moyens de prouver le harcèlement dans le cas d'une procédure.

Au-delà de la question juridique, c'est la santé physique et mentale de la personne victime de violences qui est en jeu : un arrêt maladie ne résout pas le harcèlement, mais il permet, pour une période plus ou moins longue, de souffler, de reprendre des forces, éloignéE et protégéE des agressions répétées. Parfois cela aboutit à une démission, une rupture conventionnelle de contrat ou un licenciement. Le harcèlement a des conséquences graves sur la santé. Des conséquences qui peuvent aller jusqu'au suicide, il n'est jamais inutile de le rappeler. 

Supporter une situation de harcèlement, d'injures, d'exclusion, d'humiliations, de violences physiques au quotidien demande une énergie psychique et physique considérable.

Si un adulte ne peut le supporter sans dommages (parfois très sérieux), qu'en est-il d'unE enfant ou d'unE ado

L'arrêt maladie, unique ou répété, est hélas bien souvent le seul recours face à une situation de harcèlement au travail.

Et pourtant, il n'est jamais conseillé aux élèves et aux parents de fuir l'école lorsqu'elle devient lieu de maltraitances et de destruction. Nous vivons dans une société éminemment scolaire : l'école n'est plus un droit, mais un devoir, une nécessité absolue, et une obligation inaliénable.
La possibilité qu'unE élève victime de violences puisse quitter l'école pour une période plus ou moins longue (voire définitivement), ne semble même pas se poser. Au mieux, on parlera de "phobie scolaire", pathologisant une réaction de refus qui est certainement beaucoup plus saine que le silence et la soumission. Et lorsque les psy prennent en charge cette phobie, c'est en général avec pour objectif ultime le "retour à l'école" [1].
Le "décrochage scolaire" et la déscolarisation sont considérées comme des "conséquences graves" du harcèlement.

Bien des parents n'envisageront même pas le retrait de l'école, tissés jusque dans leurs cellules de la certitude que la scolarisation est indispensable à leur enfant. Ne plus y aller, même simplement quelques semaines ou quelques mois, signifierait prendre du retard, perdre le rythme, se déshabituer du travail et de l'effort, n'obtenir aucun diplôme, ruiner son avenir et finir sous un pont. Il faut donc y aller, quoi qu'il arrive

Mais qu'apprend-t-on en situation de harcèlement ? Quel avenir se construit-on ? Les enfants et adolescentEs harceléEs à l'école s'insèrent moins bien dans la vie professionnelle et ont plus de problèmesfinanciers.

Une autre crainte est celle de la "désocialisation". Question vite réglée : de quelle "socialisation" bénéficie unE élève harceléE à l'école ou au collège ? Quelles séquelles ce harcèlement, surtout s'il est prolongé, laissera-t-il sur ses capacités relationnelles ?

Dans le trailer du film "The Bully Project", on voit un jeune garçon continuer d'aller au collège où il subit de graves violences. Bien que la situation soit connue de l'institution, aucune solution n'est apportée. Et ses parents, désemparés, ne semblent pas avoir seulement l'idée de retirer leur fils de cet enfer. Ils souffrent pourtant eux aussi de cette situation, et ne manquent pas d'empathie pour leur enfant.

L'école n'est pourtant pas obligatoire. On l'oublie trop souvent. 

Il y a bien d'autres manières d'apprendre qu'entre les murs de l'école de la République [2].

Et quand elle devient un lieu dangereux, il peut être raisonnable de la fuir. Pour une semaine, un mois, un an. Ou pour toujours. Pour aller ailleurs, dans une autre école, dans un autre système, ou pour rester chez soi. Pour faire une pause, se reconstituer, retrouver ses forces, soigner ses blessures. Et se donner les moyens d'une vie vraiment réussie, d'une réelle socialisation, de relations épanouies. 

Fuir, ce n'est pas nécessairement un échec. C'est parfois un élan vital.

Bonne rentrée !


[1] voir à ce sujet par exemple les travaux de Nicole Catheline, Les années-collège, Le grand malentendu. On trouvera aussi pléthore d'articles et de recherches sur Internet.
[2] par correspondance, dans une école alternative, mais aussi en-dehors de toute scolarisation. Le récent film "Alphabet" de Erwin Wagenhofer en montre un bel aperçu.

8 commentaires:

  1. Super texte très inspiré et inspirant. Merci merciii

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  2. Très juste! Parfois même pas envisagé probablement parce que les parents travaillent et ne voient pas "quoi faire de leur môme"... (société de folie...)

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    1. Oui tu as raison, ça fait bien partie du problème malheureusement.. Merci pour ton commentaire !

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  3. Merci beaucoup pour cet article qui permet de nous remémorer que l'école n'est pas obligatoire. En effet, seule l'instruction l'est!
    En tant que maman, ton article et ton blog en général me donnent beaucoup à réfléchir car parfois, des problèmes d'enfants peuvent nous paraitre anodins mais ont parfois un impact beaucoup plus important sur la vie de nos petits. Je me suis entendue dire par la maitresse "ce ne sont que des histoires d'enfants, rien de grave!". ça peut l’être en effet mais quand votre fille pleure tous les matins avant d'aller à l'école, ça remet certaines choses en question.
    J'attends tes futurs articles avec impatience.

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    1. Merci beaucoup Lili ! Heureuse de t'apporter quelque chose à travers ce blog. Et merci de rappeler que non, pleurer tous les matins avant d'aller à l'école, ce n'est pas du tout normal ! J'espère que les choses se sont améliorées pour ta fille.

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  4. Article très intéressant. J'irai juste plus loin sur un point : j'ai eu des problèmes de harcèlement en primaire et au collège et il ne m'était jamais venu à l'idée d'envisager sérieusement de quitter l'école, ce n'est pas que je n'ai pas osé le suggérer à mes parents, je ne l'ai juste pas envisager(et pourtant vu ma position j’étais celle qui avait le plus de chance d'y penser).

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    1. Oui c'est très juste, c'est vrai que j'aurai pu aborder ce point important. Moi non plus à l'époque je ne me suis pas autorisée à envisager ça, tant j'avais intégré l'école comme une obligation indiscutable... J'essaierai d'en parler dans un prochain article. Merci de me l'avoir fait remarquer ! :)

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